Blockbuster New Dominique Houcmant GOLDO

Blockbuster

16-17

cinéma

musique

théâtre

MA 11 AVR 19:30

ME 12 AVR 19:30

espace malraux

C’est un film. Un film doublé en direct. Un film dont on connaît toutes les images mais que l’on n’a jamais vu. En 1 400 plans de films américains, avec doublages, bruitages et musiques live, Blockbuster est LE mashup ultime (association de plans de films différents à des fins parodiques), un grand détournement joué en direct, sur scène et écran géant. Avec leur humour féroce, trois acteurs et deux musiciens du Collectif Mensuel (belge) triturent les images et façonnent une fiction contestataire… Avec Stallone, Julia Roberts et Brad Pitt, bien sûr ![films_malraux title= »Du ciné ? de la musique ? du théâtre ? »]Blockbuster n’est pas une critique austère et hargneuse des blockbusters. Blockbuster est un blockbuster. L’affect qui domine le public est la jubilation – un affect assez proche, et pour des raisons profondes, de celui qu’on trouve dans les films de Quentin Tarantino. C’est comme si l’on disait à un public qui forcément en demandera : « Vous voulez du blockbuster ? Eh bien faites la Révolution ! C’est le plus gros blockbuster de tous les temps ! » Mais cette opération laisse un reste, une sorte de doute, un parfum d’inquiétude, qui n’est sans doute que la possibilité que l’hypothèse révolutionnaire soit effectivement, après tout, terriblement sérieuse… Nous sommes dans une période où la pensée critique et les oeuvres critiques se réinventent. Blockbuster fait partie de ces nouvelles oeuvres critiques qui n’ont pas besoin de l’ascèse des films des Straub pour introduire dans la machine des industries culturelles cette petite variation qui les affole. Elles détournent l’énergie que les grosses productions captent au service de leurs rendements mirobolants pour la restituer en fait à ceux qui en sont les émetteurs : nous, les spectateurs, car cette énergie n’est autre que ce formidable désir de faire société, y compris fictivement, cette irréductibilité d’une espérance qui nous habite. Il y a une innocence inquiétante dans Blockbuster, un simplisme réjouissant parce qu’il est toujours affecté d’un point de rire. C’est Capra réalisant un épisode de Godzilla : Mr Smith va au Sénat, et finalement il casse tout ! Il ne faut pas avoir de lecture unilatérale de Blockbuster. Qui peut croire en effet que le texte final où l’on annonce la société meilleure qui suivrait l’insurrection généralisée, exprime le « message » du spectacle, alors qu’il défile comme un générique de Star Wars ? Oui, Blockbuster est dans la tradition du théâtre didactique, mais il a profondément retenu la leçon de Brecht. Le théâtre n’est pas là pour résoudre les contradictions, mais pour les exacerber. Y compris la contradiction qui est au coeur de notre monde, celle de la place de la violence dans la politique : omniprésente et contingentée, nécessaire et inacceptable, rédemption et damnation, la violence n’admet pas de solution simple : elle nous met, comme l’hypothèse insurrectionnelle dans le spectacle, face à l’impasse de la réflexion au regard du problème de l’action collective. Et cela pour une raison simple : l’action collective ne s’anticipe pas ; elle s’invente dans l’expérience collective elle-même. Blockbuster ne recommande pas la violence ; mais il nous empêche aussi de la condamner confortablement. Il nous fait sentir la joie de son évocation. Joie trouble et pure à la fois : trouble parce qu’elle renvoie à des choses inquiétantes, mais pure car elle est liée à un spectacle. La frontière de la fiction et du didactisme est brouillée : on reste suspendu entre catharsis et mobilisation, entre la joie du spectacle et le sentiment que quelque chose reste à faire, dont l’indétermination nous travaillera quand même, qu’une question reste en suspens, celle du rôle de la violence dans l’histoire. Blockbuster est aussi un magnifique commentaire du cinéma sur le théâtre. Il reproduit en direct les conditions de l’effet de fascination caractéristique du cinéma et sur lequel de nombreux théoriciens ont attiré l’attention, en le comparant parfois à l’hypnose ou au rêve. En effet, on a beau savoir que le son est produit ici, on a le sentiment irrépressible qu’il vient de l’image. Mais il nous donne en même temps les moyens de revenir à la virtuosité merveilleuse des acteurs, qui, par leur voix, par leurs gestes et grâce à tout cet univers de bricolage nous dit quelque chose comme : « Vous croyiez qu’il fallait de lourdes machines pour produire de tels effets ? Nous vous montrons qu’on peut le faire avec des bouts de ficelle ! » Il y a donc bien du démontage de l’illusion cinématographique dans Blockbuster, tout à fait dans la tradition de la critique de l’aliénation idéologique que les théoriciens des années 1970, à la suite de Barthes, en France et en Angleterre, avaient voulu analyser : ce qui semble nous venir de làbas, de loin, aliéné, est en fait produit ici, tout près, entre nous. Nous reconduire dans l’icimaintenant de notre coprésence, voilà assurément ce que le théâtre peut faire au cinéma. Au fond, à l’ampleur des moyens des industries culturelles, Blockbuster n’oppose pas des bonnes intentions, mais des savoir-faire : la virtuosité des acteurs. C’est une leçon profonde : c’est en faisant qu’on se libère. Blockbuster ne nous rassure ni ne nous inquiète, et c’est une prouesse. Il réussit à nous faire ressentir une joie qui n’est pas acquiescement au monde tel qu’il est et une disponibilité à l’insubordination radicale qui n’est ni grincheuse ni sombre. Il faut qu’il accomplisse le destin qu’il porte dans son nom jusqu’au bout : qu’il connaisse le succès de ces pièces de théâtre qui faisait péter le quartier tant tout le monde s’y bousculait. Et plus de quartiers exploseront ainsi, mieux ce sera pour notre monde. Patrice Maniglier

écriture Nicolas Ancion – Collectif Mensuel, conception et mise en scène Collectif Mensuel, vidéo et montage Juliette Achard, assistanat Edith Bertholet, scénographie Claudine Maus, création éclairage et direction technique Manu Deck, créateur sonore Matthew Higuet, coach bruitage Céline Bernard, régie vidéo Dylan Schmit, photos Goldo, administration compagnie Adrien De Rudder, interprétation Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier, Renaud Riga, création Collectif Mensuel. production Cie Pi 3,1415, coproduction Théâtre de Liège, Théâtre National / Bruxelles, avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles / Service Théâtre, en partenariat avec Arsenic2