Véronique Kanor
Je suis née à Orléans. De la Martinique, mon île prénatale, j’ai hérité d’un volcan fâché, d’un océan-cimetière, d’un sens aiguisé de l’identité et d’un désir de faire monde. Mon couteau, c’est la poésie.
Avec, je taille mes textes, mes films et ma scène.
J’ai envie de planter ma mer-Caraïbe à Chambéry et créer des choses fortes…
Avec les gens d’ici, je veux dénicher les coins où la poésie d’une île croise le rêve des montagnes.
Allons danser nos identités, secouer nos vieilles peaux en regardant nos maux en face !
Je suis la fille de Georges Kanor né en 1938 sur un Morne colonisé, en Martinique. Petite-fille de Jean-de-Dieu Kanor né en 1904 près d’un Océan violé, en Martinique.
Petite-petite-fille de Jean-Edmond dit Tika Kanor né en 1870 derrière l’horizon mal coiffé de la Martinique.
Aussi, arrière-arrière-arrière-petite-fille de Théodore né en 1834 sur cette terre esclave.
Je suis la première génération à être née sur la terre maitresse, à Orléans. A y vivre comme si de rien. Cela fait-il de moi une traitre ? Ou celle qui prend le butin ?
Je suis l’arrière-arrière-arrière-petite-petite fille de X, né dans une savane prédatée, à Ouidah qui sait ? sous le tranchant d’une bible dans une Afrique supermarchée.
Je suis l’héritière de paysages cambriolés, de jambes noyées, de corps vendus au plus offrant, de corps épars, pillés. Et je ne sais pas si ma tête respire vraiment dans cet effroi d’une vie poussée à flanc de cale, à fleur de lys.
Je suis une île à la dérive qui a son nom sur le bout de la langue. Je suis l’ici des cactus, des écorches.
Et mes plaies chaque 22 mai se dépêchent d’être guéries. Pas aguerries.
L’irréparée irréparable ! Je suis fille d’un continent qui s’en est lavé les mains d’une négresse qui ne dit pas son dernier mot ! Je suis arrrachée d’une mer animale arawak aux yeux d’écume et qui houle ses foules comme un fou solitaire et qui cherche une place entre l’or et la rosée entre deux bouts de corde, l’absolu et l’à peu près
ceUe folie-ci, ceUe folie-là, peser lourd ou renoncer entre un ancien massacré et un occident acquitté.
Je suis l’afro de ces racines, la houppière qui rend vivantes les ombres.
Et mes feuilles de papier abritent des cales peuplées, des géographies annulées.
Je suis un bourgeon de canne, un bourgeon de coton, un bourgeon indigo, un bourgeon de l’océan, un bourgeon du désastre.
Avant d’éclore en terre d’art, j’ai d’abord été une journaliste médiocre, puis une attachée de presse, encore pire. Et maintenant… Maintenant est mieux qu’avant. En tout cas j’y travaille. Je travaille à lyanner mon fait personnel d’être une femme noire afro-descendante à l’expérience collective de toutes les personnes qui se trouvent être femme et/ou noire et/ou immigrée. Les malplantées dans la société en somme !
Quelles que soient les formes de mes créations, le son résonne poétique et il est toujours question d’afro-quelque-chose. De la poésie au théâtre, du documentaire à la fiction, sur scène comme sur papier, je travaille sur les imaginaires et les réalités des mondes imprégnés par le colonial.
Il y a : plusieurs documentaires diffusés sur France TV : Mon rhum à moi, Retour au Cahier, Notre Cahier, Un caillou et des hommes, Les femmes viennent aussi de Mars, Marcel Manville d’homme à hommes, 3×2009.
Il y a : Vous avez 1 nouveau message, ma série littéraire de 70 épisodes de 7 minutes.
Il y a : 3 fictions. En 2005, La Noiraude a ouvert la voie en déroulant l’histoire d’une Guadeloupéenne à Paris qui questionne son identité à la suite d’un chagrin d’amour. S’en sont suivis : C’est qui l’homme et La femme qui passe, tournés à Brest et en Guadeloupe. En ce moment, je suis en train de monter ma quatrième fiction, Lucie comment, sur la rencontre entre un militant décolonial et une jeune fille en quête de ses origines martiniquaises.
Il y a : 2 pièces de théâtre mises en scène par Alain Timàr : Moi-Kadhafi (2014 / Ed. Caraïbéditions) et Le temps suspendu de Thuram (2022 / Ed. Lansman).
Il y a : un Afromaton en expérimentation, une sorte de photomaton en carton que je trimballe et déploie dans le monde pour y filmer des paroles d’afro-descendant.es depuis 2016.
Il y a : 1 nouvelle, Les yeux ouverts (dans Fanm kon flanm / 2018 / Ed. Cimarron)
Il y a : de la poésie publiée, avec Up poetry (2024 / Ed. Les Carnets de la lune), La peau étanche (2023 / Ed. Klak) et, aux éditions Présence Africaine en 2021 et 2013, Eclaboussure et Combien de solitudes (Prix Ethiophile).
Ma poésie est vivante, politique et souvent performative. Elle est écrite pour être dite à voix haute, sur scène. Il m’arrive de la croiser avec d’autres artistes, comme ce fut le cas avec le rappeur Abdel Malik en 2016 et 2017. En mai 2023 sur des scènes du Finistère, le souffle de ma voix s’est mélangé à celui du trompesste de jazz Philippe Champion, autour d’un de mes textes : Les tôles de la nuit. Mais le plus souvent, je performe seule en m’accompagnant de mes propres images selon un concept que j’ai nommé Pict-dub poetry. J’ai performé en Algérie, au Sénégal, au Cameroun, en Martinique, en Guyane, en Pennsylvanie, dans les provinces de France, à Paris, dans des musées, des boites noires, sur des places publiques, au bord des estuaires, dans des lieux bizarres, en festival…
Un souvenir indélébile de scène ? Festival d’Avignon Off 2023 ! A la Chapelle du Verbe Incarné, j’ai passé un mois formidable avec mon dernier pict-dub poetry Je ne suis pas d’ici je suis ici, une performance qui interroge les frontières et propose la poésie comme radeau de sauvetage.
Pour l’instant, je ramasse des graines, des cailloux, des réflexions, des images, des vibrations qui traînent dans le temps qui passe.
J’ai dans l’idée de concevoir 2 autres pict-dub-poetry. L’un, Vieil Fanm, sera axé sur la restitution des objets d’art, les œuvres rituels, volés pendant la colonisation. Et si cette vieille fanm faisait partie du lot ? Et si celle-ci devait s’auto-restituer ?
L’autre performance, La peau étanche, exprimera mon ras-le-bol, mon impuissance à tenir la main d’un monde dont les pieds se dérobe dans le vide.
Dans ces deux pict-dub-poetry, j’interprète mon propre texte. Mais j’aimerais beaucoup mettre en scène d’autres interprètes pour jouer ma future pièce, À cause de Joséphine (pas encore écrite !) autour de la statue de l’épouse de Napoléon de Bonaparte, une békère de Martinique, nommée Joséphine de Beauharnais. Cette pièce portera des questions féministes en fouillant la fabrique de 2 corps : le féminin noir et le féminin blanc.
Dans la calebasse Littérature, Les éditions Présence Africaine publieront mon premier roman, L’attendre m’a prise. L’histoire d’une femme qui tombe amoureuse d’un homme marié et passe son temps à l’attendre. Une attente peuplée de questionnements sur la nature des bonhommes.
Dans la calebasse Documentaire, j’ambitionne d’en faire deux. L’un sur la Présence Haïtienne en Guyane. L’autre sur la Colère, celle qui m’anime, qui me ronge, celle qui est liée à la domination d’un tout petit nombre sur tout le monde.
Et dans la calebasse Hasard, il y a l’Inattendu ! Cet Inattendu qui m’excitera, fera pétiller mon coeur, deviendra plus urgent que tout ce qu’il y a dans les autres calebasses… Cet Inattendu qui me fera prendre des tangentes, bousculer mon agenda, abandonner ou remettre des projets au lendemain et ouvrir d’autres chemins. Chez moi, l’Inattendu est toujours prioritaire !