Elle voulait mourir et aller à Paris
théâtre
LU 27 NOV 20:00
MA 28 NOV 20:00
Le metteur en scène et musicien Joachim Latarjet est né d’un père français et d’une mère grecque. De l’histoire maternelle il sait peu. Une histoire tue jusqu’à l’effacement de sa langue. Avec l’aide du romancier Alban Lefranc, il réinvente ici la biographie d’une jeune Grecque qui a eu 20 ans dans les années 1970 et le parcours d’une famille à travers l’histoire du XXe siècle. Récits de vie, légendes, secrets et drames historiques se mêlent, dont « la grande catastrophe » qui contraignit les Grecs d’Asie mineure à partir en exil et quitter la Turquie en 1923. Une enquête qui fera résonner sur scène les instruments de musique du rebetiko, « la musique des exilés ».[films_malraux title= »note d’intention – entretien avec joachim latarjet »]Quelles sont les origines de ce projet ? Je suis à moitié grec, à moitié français. Ma mère est Grecque, mon père est Français. Je suis binational, j’ai cette double culture, mais j’ai été élevé en France, je connais mieux la France que la Grèce. Et j’ai eu plus difficilement accès à la part grecque de ma culture parce ma mère n’a pas voulu apprendre le grec à ses enfants. Souvent, quand des parents immigrés ne parlent pas leur langue d’origine à leurs enfants, c’est par volonté d’intégration, parce que les ponts avec leur pays d’origine ont été définitivement rompus, parce qu’ils pensent que là d’où ils viennent il n’y a plus rien pour eux ni pour leurs enfants. Ce n’était pas mon cas : enfant, j’allais tous les ans en vacances dans ma famille grecque, ma mère me confiait à mes grands-parents. Mais je ne comprenais rien, c’était très frustrant. Et vers 8-9 ans, j’ai passé beaucoup de temps avec ma marraine, qui ne parlait pas un mot de français, et je me suis mis à parler grec parfaitement, sans accent… Puis je l’ai perdu. Je me suis toujours demandé pourquoi on m’avait refusé cette langue, cette culture, quelles histoires avaient poussé ma mère à nous écarter de ses origines, d’une part de notre héritage culturel. Et pourquoi, malgré cela, je me suis toujours senti grec, pourquoi mon corps vibre physiquement à la moindre note de musique grecque, à certaines odeurs… Ces questions m’ont donné envie d’écrire un spectacle sur la mythologie familiale, un spectacle qui explore ce sur quoi se construit une famille. Quelle est l’histoire de ta famille ? C’est une histoire d’exils. Mes grands-parents sont des Grecs d’Asie Mineure. Ils sont nés en Turquie, où leur famille a toujours vécu. En 1923 est signé l’accord de Lausanne : les Grecs d’Asie Mineure doivent partir pour la Grèce tandis que les Turcs de Grèce retournent en Turquie. Ils appellent encore ça « La Grande Catastrophe ». Mes grands-parents s’installent à Thessalonique, une ville cosmopolite peuplée de Juifs, de Grecs d’Asie Mineure, d’Arméniens, où ma mère naît dans les années 50. Une quinzaine d’années plus tard, alors que ma mère doit être envoyée au couvent parce qu’elle a eu une attitude inconvenante avec un garçon, mes oncles et tantes dépannent une famille française en vacances. Ils sympathisent. Les Français proposent d’accueillir ma mère chez eux, à Lyon, et de l’inscrire dans un institut catholique avec leur fille. Et ma mère part avec eux en voiture. Elle se retrouve donc à 15 ans dans la bourgeoisie lyonnaise, on lui demande de danser le sirtaki… C’est comme si Zorba le Grec avait débarqué chez eux ! Ma mère apprend le français, passe le bac, fait ses études en France… Elle ne retournera en Grèce qu’avec ses enfants. Ça c’est l’histoire de ma famille, ce sont des histoires. Je pense qu’elles sont vraies, mais je n’en suis même pas sûr. Comment vas-tu procéder pour écrire ce spectacle ? Je vais d’abord mener des entretiens avec ma famille. Et là se pose déjà une question : comment les interroger ? Je parle grec avec un très bon accent, mais je fais d’énormes fautes. C’est troublant pour les Grecs, qui me demandent d’où je viens. C’est compliqué, en Grèce, d’où on vient. Ça n’a pas le même sens qu’ici, parce que les Grecs ont beaucoup voyagé. D’abord parce que c’est un pays de marchands, mais surtout parce que c’est un pays pauvre. D’ailleurs, avec la crise actuelle, le pays se vide à nouveau de sa jeunesse, comme dans les années 60 : ça ne doit pas être un hasard si ce projet prend forme maintenant. Ma mère, elle, n’a pas émigré à cause de la pauvreté, elle a fui la misère culturelle d’un pays écrasé par l’église et l’armée – c’était juste avant la dictature et ses parents étaient sans doute proches des colonels. Je vais donc aller rencontrer ma famille avec un interprète, pour être sûr de bien tout comprendre. Je vais les enregistrer, peut-être les filmer, puis je confierai ces matériaux à un écrivain, Alban Lefranc. Comment vas-tu travailler avec lui ? Son travail m’intéresse parce qu’il « interprète » les matériaux réels, il « interprète » des biographies par exemple. Il l’a fait avec Mohamed Ali, Maurice Pialat, Fassbinder, Nico ou des membres de la Bande à Baader. Je vais donc lui proposer d’« interpréter » la biographie d’une jeune grecque qui a eu 20 ans dans les années 70, le parcours d’une famille grecque à travers l’Histoire du XXe siècle. J’ai eu envie de travailler avec lui pour me libérer de l’aspect personnel, familial de ce projet et pouvoir créer une vraie fiction théâtrale. Je n’ai pas envie de raconter mon histoire, ce qui m’intéresse c’est ce qu’elle véhicule. Tu lui as donné des consignes d’écriture ? Non. Ce qui me plaît c’est de ne pas savoir ce qu’il va écrire. As-tu déjà une idée de la forme que ce spectacle prendra ? Je me suis écarté de la forme performative. La Petite Fille aux allumettes a fait naître en moi un désir de narration. Nos spectacles sont très libres, ils empruntent à toutes les disciplines : le théâtre, la musique, la danse, la vidéo. J’ai beaucoup aimé créer des spectacles éclatés. Mais maintenant je prends du plaisir à raconter des histoires, à jouer avec les codes de la narration, à explorer ce qu’est une histoire. Le projet grec parle de ça : qu’est-ce qu’une histoire, qu’est-ce que l’Histoire ?
Le Totem MJC – Chambéry
musique et mise en scène Joachim Latarjet textes Joachim Latarjet et Alban Lefranc collaboration artistique Alexandra Fleischer dramaturgie et assistanat à la mise en scène Yann Richard avec Alexandra Fleischer, Joachim Latarjet, Alexandre Théry, Emmanuel Matte, Daphne Koutstafti vidéo Alexandre Gavras lumières Léandre Garcia Lamolla son François Vatin costumes Nathalie Saulnier production Compagnie Oh ! Oui coproduction Les Subsistances de Lyon avec l’aide à la production dramatique de la DRAC Ile-de-France dans le cadre de Migrant’scène, festival de la Cimade