Depuis 2015, la compagnie Ariadne, accorde une place importante aux liens que des adolescents peuvent tisser avec l’écriture théâtrale contemporaine. Questionnant le vaste sujet du « comment trouver sa place », Anne Courel a rencontré des jeunes femmes vivant dans une école de la seconde chance, à la discipline volontairement calquée sur le modèle militaire. De cette rencontre naît l’idée de Génération Woyzeck, une façon d’aborder la réalité de jeunes gens ayant choisi l’armée comme cadre de vie. Un sujet fort et délicat plein de contradictions, aux ramifications complexes entre construction de soi et idéologie.
Rencontrez l’équipe de Génération Woyzeck à l’issue des deux représentation les 28 février et 1er mars pour un échange autour du spectacle.
mise en scène Anne Courel Compagnie Ariadne texte Magali Mougel avec Mathieu Besnier, Léo Bianchi (Kilian), Carole Got, Solenn Louër (Garance), Ysanis Padonou (Yasmine) scénographie Stéphanie Mathieu costumes Cara Ben Assayag création lumières et vidéo Guislaine Rigollet création sonore Clément Hubert, Grégoire Schmidt assistante à la documentation Claire Cathy images Mathurin Prunayre chantAudrey Pevrier chorégraphie François Veyrunes régie générale Justine Nahon régie lumières et vidéoQuentin Leblevec régie son Grégoire Schmidt
coproduction Le Grand Angle, Scène régionale pays voironnais, Voiron – La Coloc’ de la Culture, Scène conventionnée d’intérêt national art, enfance et jeunesse, Cournon d’Auvergne – Le Grand R, Scène nationale La Roche-sur-Yon autres partenaires Théâtre Molière, Scène nationale Archipel de Thau, Sète – Momix Festival international jeune public à Kingersheim – Espace 600 scène régionale, Grenoble – Malraux, scène nationale Chambéry-SAVOIE – Théâtre de la Croix Rousse, Lyon – La Mouche – Saint-Genis-Laval
La compagnie est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et le Conseil Départemental de l’Isère. Elle est subventionnée par la ville de Villeurbanne. Le spectacle a reçu une aide à la création de la SPEDIDAM ainsi que le soutien de l’ADAMI avec la participation artistique du Jeune Théâtre National.
Anne Courel crée la Compagnie Ariadne à Lyon il y a plus de 25 ans pour défendre le théâtre d’aujourd’hui et ses auteurs, interroger le monde avec un langage singulier. Elle s’adresse à tous avec exigence, trouve des passerelles entre les publics. Elle a créé et tourné une trentaine de pièces d’auteurs contemporains aux parcours remarquables alliant commandes et création, avec : Carole Fréchette, Eugène Durif, Sylvain Levey, Karin Serres, entre autres, et des aventures singulières avec des pièces de George Tabori, Jean-Yves Picq, Naomi Wallace, Evan Placey … En 2012, à la direction du Théâtre Théo Argence, Anne Courel invente le projet La Fabrique. Peu à peu un dialogue s’établit plus particulièrement avec les jeunes. À partir de 2015, la question de la parole adolescente s’impose au coeur même du processus de création. Dernièrement, la compagnie a ouvert un laboratoire de recherche : le Lab’Ados, projet international, qui a abouti à la création de Je suis le contrepoids du monde, – en partenariat avec le Théâtre Le Clou / Québec et l’Isolat Théâtre / Belgique – et une tournée en Belgique, au Québec et en France. Actuellement, elle dirige l’Espace 600 qui devient en 2021 Scène conventionnée d’intérêt national « Art-Enfance-Jeunesse ».
Magali Mougel
Née en 1982 dans les Vosges, région dans laquelle elle a choisi de retourner vivre. Après des études à l’Université de Strasbourg, ainsi qu’à l’ENSATT à Lyon dans le département écrivain-dramaturge, elle a enseigné pendant plusieurs années à l’Université de Strasbourg dans le département des arts du spectacle et a été rédactrice pour le Théâtre national de Strasbourg. Depuis 2014, elle a fait le choix de se consacrer exclusivement à l’écriture de textes pour le théâtre. En 2013-2014, Magali Mougel est associée au Théâtre Jean Vilar de Montpellier. Durant plusieurs semaines, elle vit chez les habitants du quartier de La Paillade. Elle écrit un texte Traverses, mis en scène par Mathias Beyler avec un collectif de professionnels et amateurs. A l’été 2014, elle entame une étroite collaboration avec Baptiste Guitton / Le Théâtre Exalté. Magali Mougel écrit alors le texte Coeur d’Acier qui est créé à l’automne 2015 au Théâtre de Vénissieux en coproduction avec le TNP de Villeurbanne. Leur collaboration se poursuit en 2017 dans le cadre d’un Chantier nomade. En janvier 2015, elle est accueillie en résidence par la MC2 – Scène nationale et l’association Troisième Bureau à Grenoble pour 5 mois. Elle écrira durant cette période les premières versions de Poudre noire. Elle publie en 2016 Penthy sur la bande, pièce lauréate de l’Aide à la création du CNT, aux Editions Espaces 34. 2015 et 2016 sont deux saisons importantes où Magali Mougel collabore avec trois metteur.e.s en scène : Johanny Bert / Cie Le théâtre de Romette accueille Magali Mougel au CDN de Montluçon pour écrire pour des jeunes lycéens donnant naissance à The Lulu Projekt édité en 2017 aux éditions Espaces 34 et à l’écriture d’un spectacle pour le Festival Odyssées en Yvelines ; Olivier Letellier / Le théâtre du Phare l’invite à écrire le texte du spectacle Je ne veux plus créé à l’automne 2015 et, à co-écrire avec Sylvain Levey et Catherine Verlaguet le texte du spectacle La Nuit où le jour s’est levé ; Hélène Soulié / Cie Exit, lui demande de l’accompagner en tant que dramaturge sur la création et l’adaptation pour la scène du roman Nous sommes les oiseaux de la tempête qui s’annonce de Lola Lafon. En 2018, elle crée un nouveau spectacle, pour les jeunes adolescents pour le Festival Odyssées en Yvelines, mis en scène par Philippe Baronnet : We just wanted you to love us et devient membre du collectif artistique du Théâtre de Sartrouville – CDN des Yvelines.
Ils sont à peine majeurs. Autour d’eux la cacophonie fait rage, assourdissante d’injonctions contradictoires, d’ordres incongrus, de discours sur la réussite, de murmures de révolte étouffés, de paroles édifiantes, de manipulations plus ou moins conscientes et de leurs voix de jeunes adultes : à donner à entendre de toute urgence ! Ils sont des milliers, garçons et filles, à ne pas trouver de place au milieu de cette polyphonie qui conjugue le droit d’exister avec la réussite individuelle, le respect avec les revenus, la légitimité avec un référentiel d’images d’une supposée réussite impossible à atteindre pour certains. Comment se fait-il qu’une société confie à une institution qui cultive, quitte à stériliser toute forme d’imagination et à apprendre l’ennui et le vide, la cohésion et l’obéissance absolue – ce que, face au danger, je comprends – la remise à niveau de jeunes décrocheurs, l’intégration d’ados fumeurs de cannabis, l’insertion de jeunes adultes nés au mauvais endroit au mauvais moment, pas riches, pas cultivés, pas reconnus ? Nos grandes entreprises ont-elles à ce point besoin d’une armée de travailleurs en costumes colorés ? Parce que c’est bien l’absence de reconnaissance qui est à l’oeuvre, celle qui nous touche, celle sur laquelle j’ai envie de travailler, inadmissible, terrible, et qui donne envie de prendre ces enfants dans les bras…
Qu’est-ce qu’ils font là ? Pourquoi n’ont-ils pas trouvé ailleurs un cadre à leur mesure ? Ce sont leurs histoires que j’ai envie que nous racontions parce qu’au fond je n’ai pas envie qu’ils rentrent dans le rang. À défaut de savoir, ou pouvoir, proposer des solutions, j’ai envie de leur donner une voix au plateau, de prêter attention à l’inaudible, de mettre en équation ce que j’en comprends ou ressens. Je n’ai pas de réponse mais j’ai des questions, beaucoup de questions, à partager avec le public. La scène se fait salle de laboratoire ouverte aux idées à débattre sur la base d’une fiction qui s’offre à nous. Comme dans Woyzeck, derrière la fiction sourdent les bruits du monde. Le drame avance, en épisodes, un peu de guingois, à bas bruit. Il faut aller au drame pour en saisir la logique, l’impérieux désir de se faire exister, la force du mépris de classe. J’ai beaucoup de tendresse pour ces enfants déjà adultes qui cherchent des portes d’entrée, se trompent, confondent orientation, in- tégration et désintégration de ce qu’ils ont de plus précieux, une amitié indéfectible et une capacité à rêver qu’ils oublient de cultiver et revendiquer.
Anne Courel
Lorsque nous commençons cette enquête sur l’engagement chez les jeunes adultes âgés de 18 à 25 ans qui s’inscrivent dans des dispositifs dits de réinsertion comme les EPIDE ou le SMV, je comprends que les gouvernements successifs depuis l’ère Sarkozy érigent le modèle militaire comme un modèle d’intégration, une école indispensable pour la bonne formation du corps et de l’esprit de la jeunesse en France. Là où l’école républicaine et les autres institutions, accompagnant des jeunes adultes, seraient en perte de vitesse quant à leur réussite à accompagner les jeunes, vers une insertion dans le monde du travail, l’armée, historiquement – et ce sans doute à cause de cette image d’Épinal de grande famille qu’elle véhicule, avec feu le service militaire – serait, elle, en capacité de réussir à remettre la jeu- nesse en bon ordre de marche. Or rapidement est apparu que – et cela a été régulièrement discuté au moment de la préfiguration du Service national universel (SNU) sous le régime Macron – l’absence de mixité et de cohésion chez les jeunes était sans doute la résultante de choix politiques et économiques qui ont aujourd’hui appauvri les compétences et les savoir-faire des institutions et services publics de la République, comme les colonies de vacances ou, justement, l’école. Mais il était trop tard pour le défendre. Il y a eu les attentats, la peur, la volonté de «riposter fort», les désirs absolus de contrôler les dérives sectaires ou judiciaires de la jeunesse. Dès lors, il semblait important de permettre la construction pour tous d’un habitus national et patriotique, pour renforcer la nation et redonner à la jeunesse un visage de confiance. Lorsque j’ai commencé à écrire, une série de questions s’est donc posée à moi : La politique de Macron n’est-elle pas en train d’instrumentaliser l’appareil militaire pour créer des petits soldats, corvéables à souhait, dans le seul but de servir le capitalisme moderne ? Que cache ce désir absolu de cohésion sociale ? Que vont devenir ces jeunes personnes à qui on promet le plein emploi, alors qu’en réalité elles seront propulsées dans la précarité d’un travail – avec au mieux un CDD – et de surcroît, dans des conditions précaires. Rapidement, l’écriture a été hantée par la figure du soldat peinte par Büchner dans sa pièce Woyzeck. J’ai alors tenté de comprendre qui serait Woyzeck s’il était notre contemporain. Dans ce texte, il ne s’agit plus d’un jeune homme, mais d’un trio de jeunes personnes comprimées entre des familles fatiguées par le rouleau compresseur d’une société avide de profits, l’injonction à entrer dans les normes et, pourtant, les rêves de liberté.
Magali Mougel




