Cinq ans après la disparition du poète canadien, le français H-Burns lui rend hommage, accompagné par un quatuor à cordes. C’est l’incroyable discographie de Leonard Cohen qui l’a jeté sur les chemins du folk et de ses 8 albums en 15 ans : Renaud Brustlein (de son vrai nom) réinterprète le répertoire du poète canadien à travers ses titres les plus emblématiques, notamment ceux des premiers albums. Des classiques puissants (Suzanne, Hey, that’s no way to say Goodbye, So long Marianne…), interprétés avec les cordes et les voix du Stranger Quartet. Un folk envoûtant.
production Mélodyn
Les Inrocks – 03 septembre 2021
H-Burns – Burns on The Wire (Melodyn Productions/Warner)
Si ces covers lâchent peu la bride aux tensions apocalyptiques, c’est qu’en piochant dans la première décennie du catalogue cohenien, c’est avant tout l’artisanat folk qu’explorent H-Burns et ses invité·es. Habitué de collaborations faisant fi des chapelles, Renaud Brustlein convie ici Lou Doillon, Kevin Morby ou encore Pomme, à qui échoit le rôle principal d’un duo tressé sur l’intemporelle Suzanne. Les frissons sont bien de mise, à voir passer de voix en voix un si fondamental répertoire. Et ce n’est pas ce journal (remember I’m Your Fan) qui dira le contraire.
Par Rémi Boiteux
>> Notre critique : Le beau tribute album de H-Burns à Leonard Cohen
Ça fait longtemps que les chansons de Leonard Cohen accompagnent le rocker français H-BURNS et constituent pour lui un patrimoine à chérir, à transmettre. Il y a d’abord eu ces moments, durant l’enfance, où son père jouait Suzanne au coin du feu lors de soirées entre amis. Bercé par les albums folk du Canadien, H-BURNS a lui-même grandi en tant qu’artiste en apprenant ses classiques. Lors de sa première tournée, en 2005-2006, il lui arrivait ainsi souvent d’interpréter sur scène Chelsea Hotel. Dix ans plus tard, en vacances pendant plusieurs semaines dans un Montréal enneigé, c’est naturellement qu’il s’est livré à un pèlerinage quotidien. Oui, chaque jour, il s’est rendu dans le Plateau Mont-Royal, le quartier général du chanteur canadien, s’est baladé devant la maison de celui-ci, visitant aussi le parc du Portugal là où, il y a près d’un demi-siècle, un guitariste flamenco a appris à Cohen ses premiers accords. « Je passais devant sa maison qui avait toujours les volets fermés. Et puis, le dernier jour de mon séjour, les volets se sont ouverts et la maison était allumée. Comme un symbole ». Quelques mois plus tard, Leonard Cohen s’est éteint, laissant orphelins toutes celles et tous ceux qui ont vu la lumière dans ses chansons et un mode d’emploi poétique afin de mieux appréhender le quotidien, la vie, l’amour. Pour H-BURNS, perdre un membre éminent de son panthéon personnel – où figurent également Bob Dylan et Bruce Springsteen – a été un choc. C’est peut-être à ce moment qu’a germé l’idée de lui rendre, un jour, un hommage appuyé. « Après avoir écrit huit albums, je me disais aussi que ça me ferait du bien de me plonger dans l’oeuvre de quelqu’un d’autre pour casser mes mécanismes d’écriture ». H-Burns est donc reparti à la source, se tournant vers les premiers albums de Cohen (Songs of Leonard Cohen, 1967, Songs From A Room, 1969, Songs of Love and Hate, 1971, New Skin for a Old Ceremony, 1974) sans oublier le live de 1973 où Cohen interprète le standard Passing Through. « Pour garder le feu intact dans mon périple initiatique, j’avais besoin que les chansons me parlent. Et puis je ne me voyais pas reprendre I’m Your Man ou Hallelujah – à partir des années 80, Cohen a pris une voix tellement d’outre-tombe… ».
Pour mener à bien sa mission, H-BURNS a monté une distribution cinq étoiles. Forcément le fidèle Antoine Pinet, multi-instrumentiste, arrangeur et compagnon de voyage depuis 15 ans, est de la partie. Pour les choeurs et les cordes, H-BURNS s’est entouré de musiciennes qui sont aussi des chanteuses et des compositrices, quatre artistes qui ont une formation classique et ont rejoint cette belle aventure : Pauline Denize, Mélie Fraisse, Lonny et Ysé Sauvage. Avec cette troupe pour l’accompagner, baptisée the Stranger Quartet, H-Burns a payé avec ferveur son tribut. En ouverture de Burns on a Wire, il entonne ainsi la chanson fétiche Chelsea Hotel. Suivent Who By Fire ou Famous Blue Raincoat à qui les choeurs et les cordes confèrent encore plus de grâce. Chaque reprise possède sa propre vitalité, résultat d’un mois passé en studio où toutes les relectures ont été captées live, à l’ancienne. Animé par la volonté d’être respectueux tout en ajoutant sa patte, H-BURNS a choisi le studio parisien CBE qui a accueilli aussi bien Françoise Hardy que Nino Ferrer.
« Tu pousses la porte et tu entres vraiment dans une cabine temporelle. On a pu se mettre dans les conditions d’époque ».
L’ordinateur a ainsi été relégué à une fonction subalterne, les synthés, eux, ont été carrément proscrits au profit de l’orgue Wurlitzer. Un enregistreur à bandes a été mis à profit. Cette approche old school confère à Burns on the Wire une patine qui le rend à la fois contemporain et sans âge. H-BURNS a aussi eu l’envie d’inviter d’autres voix à chanter Cohen avec lui, habité par l’idée que ce répertoire intemporel permet de fédérer et
d’unir les forces. « Cohen parle à plusieurs génération, Cohen est un peu à tout le monde ».
Le premier qu’il a enrôlé, BERTRAND BELIN, H-BURNS le connait bien puisqu’ils ont déjà travaillé et joué ensemble. Sur Avalanche, arrangé par Belin dans une veine crépusculaire, leurs deux voix se marient à merveille sur un élégant tapis de piano et de guitares légèrement dissonantes.
« Bertrand Belin m’a dit que, dans mon approche, j’avais traité Cohen comme de la musique classique. Sur le disque, on a parfois mis de la batterie ou des cordes là où il n’y en avait pas, on s’est permis quelques fantaisies qui ne dénaturent pas l’oeuvre ».
Concernant les autres duos, H-BURNS a envoyé, « au feeling », des bouteilles à la mer. Et, à chaque fois, il ne s’est pas trompé.
« Je sentais dans la voix de Pomme et la gravité de ses chansons qu’elle avait pu écouter Cohen ». Leur interprétation commune et déchirante de Suzanne montre combien il avait vu juste : Pomme, une des artistes majeures de la nouvelle scène française, est aussi une enfant de Cohen. Quant à la collaboration avec LOU DOILLON, elle a débouché sur un de ces heureux accidents que seule la spontanéité et le plaisir d’être en studio peuvent provoquer. Après avoir mis en boite une version à deux voix, magnifique et habitée, de So Long, Marianne, H-Burns lui a proposé du tac-au-tac d’enchainer sur Hey, that’s no way to say goodbye mais en langue française, en reprenant l’adaptation du chanteur George Chelon. Sauf que, au lieu d’amener le titre vers le folk comme le fit leur aîné dans les années 70, H-Burns et son groupe ont transformé le morceau en une chanson pop entrainante « à la Melody Nelson », selon H-BURNS. On pourrait aussi évoquer les fameux duos entre Nancy Sinatra et Lee Hazlewood… celui-ci est d’ailleurs venu enregistrer au studio CBE, la boucle est bouclée. Paradoxe : il aura fallu en passer par Leonard Cohen pour que H-BURNS chante pour la première fois en français. En plus du pétillant Goodbye, il utilise aussi sa langue natale sur la reprise de The Partisan, chant de lutte que Cohen avait popularisé en langue anglaise en 1969 sur Songs From A Room. Pour souligner la dimension internationale de cet appel à la résistance, H-Burns a choisi d’en livrer une version bilingue en invitant l’Américain KEVIN MORBY qui marche dans les pas de Cohen de manière très crédible.
Avec le Stranger Quartet à ses côtés, H-BURNS part défendre sur scène cet hommage très personnel pour des concerts conçus comme des célébrations enjouées et trans-générationnelles. Même les puristes qui vont renâcler par principe finiront par être sous le charme.
Vincent Brunner



