La veille d’une bataille, le Prince de Hombourg est en pleine crise de somnambulisme. Dans la confusion, il n’écoute pas les instructions, attendre le commandement du chef de l’armée pour attaquer. Alors il lance l’assaut, remporte la victoire, mais contre les ordres reçus. Devra-t-il payer de sa vie son indiscipline ? Par cette nouvelle création librement inspirée de la pièce de Kleist, le metteur en scène Robert Cantarella et l’auteur Stéphane Bouquet font résonner avec notre époque les errances, les lâchetés, mais aussi les exploits et les insoumissions du jeune Prince. Sur scène, unedistribution d’exception, menée par une figure du cinéma, du théâtre et de la chanson, Nicolas Maury.
mise en scène Robert Cantarella dramaturgie et écriture Stéphane Bouquet chorégraphie Mathilde Monnier assistanat Anouk Werro scénographie Sylvie Kleiber lumières Philippe Gladieux musiqueAlexandre Meyer costumes Constance de Corbière régie Soleiman Chauchat avec Nicolas Maury (Le Prince de Hombourg), Charlotte Clamens (Princesse électrice), Christian Geffroy Schittler (L’électeur Frederik Guillaume), Jean-Louis Coulloc’h (Comte de Hohenzollern), Martin Reinartz (Kottwitz) & Béatrice Amsler Denogent (Nathalie).
production Production R&C / Suite Suisse
Un Prince de Hombourg décrit les balancements d’un jeune prince entre veille et sommeil, entre insoumission et obéissance, entre intuition et institution. L’évidence de devoir chercher la forme scénique de ce texte aujourd’hui me saute aux yeux quand je lis l’opposition entre la loi des pères et l’intuition de liberté des fils. Des enfants n’entendent pas l’ordre des pères car ils pensent à autre chose, au désir, à l’amour, aux potentialités des espaces utopiques, alors que la loi exige l’obéissance, la règle et la tenue. Et voilà que ce jeune Prince gagne la bataille, il est vainqueur mais contre la loi, et contre les ordres, c’est donc une impasse. A la fois héros et insoumis : il doit être décoré et tué. La pièce dérape encore une fois, elle ne tient à aucune place. Le Prince a peur devant le trou de sa propre tombe. Il est prêt à tout sacrifier y compris sa fiancée, qu’elle aille rejoindre un autre homme s’il peut avoir la vie sauve. Un héros qui boîte, encore un autre genre de théâtre, un réalisme cru, sans fioriture, juste un humain qui a peur. Comme à chaque époque de transformation, de transmutation, ce texte instable, sismographe d’une jeunesse qui sait mais ne peut pas, qui devine mais doit obéir, est un résonateur impitoyable. L’annonce d’un monde d’après sera-t-il celui d’un somnambulisme obligé pour la nouvelle génération ? Devrons nous sacrifier une jeunesse à l’autel de la raison ? Est-ce déjà fait ? En 1810 Kleist ne résout pas une situation, il ouvre une fiction comme une boite de Pandore d’où s’échappent les forces et les désirs de sa génération saturée de mots d’ordre, et de lendemains ratés. En 1951 Jean Vilar donne une version devenue iconique avec la silhouette élancée, aux limites du vertige et de l’envol de Gérard Philippe. Ce déséquilibre du corps est le dessin intime du texte, comme si toute la pièce se jouait entre militaires empesés par les ordres de la loi des pères d’une part, et la légèreté du désir qui détourne l’attention pour accueillir l’intuition d’autre part. Ce jeune homme en blanc, flottant dans ses vêtements qu’Agnès Varda immortalisa est encore la figure de toute forme de corps qui espère autre chose. En 2022 la pièce fait sonner autrement les errances, exploits et insoumissions du jeune prince. Le Prince vit dans les interstices, il est le conducteur des indécisions de la pièce. Il erre, rêvasse, attaque l’ennemi, se rengorge, pleure, supplie, va droit dans ses bottes, et retire le bandeau de ses yeux avant son exécution. Il est ce que la jeunesse doit apprendre aux vieux détenteurs des lois et des règles, c’est-à-dire que la vie prend corps au milieu des chemins, qu’elle est vive car indécise, fragile.
La pièce de Heinrich von Kleist est une machine à explosions théâtrales, dont le centre de gravité serait sans cesse déplacé au fur et à mesure qu’avance l’échéance. Le somnambulisme inaugure le récit alors que le réveil à l’issue d’une fausse exécution doit permettre de sauver la face, de préserver l’honneur des apparences ou le jeu des représentations du pouvoir. La pièce fuit, le texte s’éclate en genres différents, d’ailleurs Kleist le voulait ainsi, à la fois se couler dans la tradition goethéenne avec la dignité du drame classique allemand, mais aussi assumer le romantisme en la personne du Prince, qui échoue à tenir sa posture de héros. Ce mélange des genres sera tellement reproché à Kleist que la pièce ne sera jouée que bien après sa mort. C’est le pari de ce mélange que je souhaite relever. En relevant pour ainsi dire littéralement, ce défi chaque acte sera traité comme un genre de théâtre différent. Le premier acte, dans les jardins du château, acte du somnambulisme, du rêve et de l’errance, où les corps se jouent de la gravité – nous pensons aux nuits de la Dolce vita de Fellini – sera construit comme une chorégraphie sur un plateau nu, où le dessins des trajets et la verticalité des corps seront l’équivalent de la métrique des sentiments à l’oeuvre dans la langue de Kleist. Le rythme, comme le disent les traducteurs, importent autant que le sens. Le deuxième acte qui se déroule sur « un champ de bataille, aux environs de Fehrbellin » est un film à part entière, totalement fabriqué en amont. Cet acte où les jeunes hommes attendent le matin, à cheval ou autour de feux de camp, protégés dans l’épaisseur de la forêt, puis se jettent dans le combat et en reviennent, couverts de sang de poussière ou de sueur, sera cadrés au plus près des corps, des souffles et des peaux – à l’image des pentures de Paolo Uccello ou des films de Manoel de Oliveira. Le troisième acte – à la prison de Fehrbellin – acte des tergiversations, des négociations, des débats, des remords où la prison est avant tout un enfermement de la conscience dans les lacis de la morale. Nous choisissons donc de le représenter dans un espace métaphorique, mental, inquiétant et menaçant. Fragment de nature comme extrait d’une toile de Caspar David Friedrich, où une rivière coule par intermittence et dont les remous viennent se mêler à la voix de la conscience. Le quatrième acte – dans la chambre de l’Electeur – acte où le Prince vient plaider sa cause comme un enfant se déroulera dans un réalisme à la Michael Hanecke, un grand appartement glacé et hyper-réalise où les enfants riches font ce qu’ils peuvent pour se faire aimer de leurs père. Pauvre petit prince riche qui est prêt à toutes les humiliations pour gagner quelques années de vie.
Le cinquième acte, de retour dans une salle du château, est l’acte du simulacre, l’acte du réveil, où les apparences sont sauvées par une exécution de pacotille et où les générations se réconcilient. Je mettrais donc en scène avec une jeune menteuse en scène à laquelle je demanderai de m’accompagner. Cette artificialité de la situation, nous la traiterons, en référence à un texte de Kleist, Sur le théâtre de marionnettes, en accusant les contours, en traitant le jeu d’acteur à l’égal de pantins. Nous utiliserons pour cela la lumière et des cadrages. Je resserre la distribution autour de cinq personnages : le Prince, l’Électeur, l’Électrice, Nathalie et Hohenzollern. Insister sur le cercle restreint des enjeux de famille, de la loi, du père, de la mère, du mariage et de la descendance. Les autres figures, le choeur entourant le jeune homme, seront présentes dans les parties filmées où nous retrouvons les protagonistes dans des échelles différentes, au milieu de la meute des guerriers en quête d’aventures. Je demande à l’auteur Stéphane Bouquet de se joindre à la lecture, comme toujours depuis plusieurs années et de se greffer à la langue de Kleist. Il est poète, je lui propose d’écrire de se glisser dans la pièce en écrivant des monologues intérieurs pour chaque personnage. Il est question de passation, de transmission, je tiens à ce que la troupe que nous allons former soit constituée de ce mélange d’expériences, de cultures, d’âges.
Robert Cantarella