Voyage au pays de l’inséparé

Après avoir conçu orgueilleusement l’homme comme un être dans le monde, dont la nature est d’être constitutive de ce monde, ne faut-il pas penser l’être humain non seulement comme une partie ordinaire du monde, mais comme un continuum de matière, une forme que prend la matière du monde au même titre que les nuages ou les arbres, un niveau de complexité organisationnelle de la matière parmi d’autres ?  Nous ne sommes pas contenus dans le monde, nous sommes une part inséparée du monde. Nous sommes nous-mêmes une partie du plan, et comme tout être, une singularité en son sein, un pli du plan continu de l’Être.  Ce qui semble séparer les êtres – la distance entre les corps – est en fait précisément ce qui les relie.

Dominique Quessada – L’inséparé

Édito

Le théâtre est un magnifique outil de liberté et de transgressions tout en étant régi par des règles et des lois admises autant par son public que par ses artisans.

Son organisation repose sur un principe de séparation entre la scène et la salle, entre le visible du plateau et l’invisible des coulisses, entre cela qui se tait et cela qu’on écoute, cela qui est dans l’ombre et cela qui est vu. Nous admettons collectivement toutes ses conventions, nous avons l’habitude de trier et d’apprécier chacun de ses composants par ordre d’importance.

Pourtant tout, dans notre vie contemporaine indique que rien n’est réellement séparable de son environnement, ni les êtres, ni les phénomènes, ni les multiples manifestations de la matière. Nous apprenons chaque jour à en faire davantage le constat : tout est bien plus relié et interdépendant qu’on ne l’imagine.

Au pays de l’inséparé, nous vous proposons de partager une expérience sensible en forme de traversée, une flânerie hors-limite dans un théâtre défait de ses règles et hiérarchies habituelles. 

Un théâtre où nous toutes et tous, vous, les choses, le temps, le dehors, le dedans, les mots, la pensée, le velours des fauteuils, la poussière dans l’air, le claquement d’une porte, la souplesse du plancher, la mort de la tragédienne ou la main du machiniste, nous nous attacherons à remettre en lumière les liens visibles et invisibles qui nous assemblent.  

Ainsi, débarrassé·es des codes et contraintes des anciens modèles, nous aurons peut-être l’occasion de sentir s’esquisser une autre forme de réalité, plus complexe, plus instable sans doute, mais tissée de millions de liens, de connexions, une réalité inséparée, une autre vision du monde. 

Et de quoi avons-nous le plus besoin aujourd’hui, si ce n’est de nouvelles visions du monde ?

Marguerite Bordat

La compagnie

La Belle Meunière, fondée en 1992, a pour vocation la création artistique dans le domaine théâtral, sonore, cinématographique et plastique. Durant plusieurs années, le travail de la compagnie s’est fondé sur la relation que nous entretenons sous diverses formes avec la matière.

Marguerite Bordat

Marguerite Bordat est née en 1974 à Paris. Scénographe, plasticienne, elle s’engage très tôt dans une importante collaboration avec Joël Pommerat avec qui elle forge sa sensibilité à la scène et à tous ces composants. Après une décennie de travail et de créations, elle s’éloigne de la compagnie Louis Brouillard pour initier d’autres projets, d’autres expériences scéniques. Avec la marionnettiste et metteuse en scène Berangère Vantusso, elle partage le désir d’aller vers un théâtre hybride, au croisement des arts plastiques et du théâtre. Ensembles, elles imaginent une forme singulière qui met en scène des acteurs et des marionnettes hyperréalistes, présences singulières qui troublent la perception du réel et ouvrent un espace de jeu théâtral inédit. Toujours plus attirée par des tentatives de renouvellement de la forme théâtrale, elle privilégie des collaborations avec des auteurs ou des metteurs en scène, qui comme elle, sont attachés à la dimension de recherche, de mise en danger, de réinvention. Les espaces scéniques qu’elle invente, résultent le plus souvent d’une démarche qui tente d’être au plus près du travail de plateau. Elle signe la scénographie et parfois les costumes d’un grand nombre de projets initiés par des metteurs en scène tel qu’Eric Lacascade, Pascal Kirsch, Guillaume Gatteau, Pierre-Yves Chapalain, Jean-Pierre Laroche, Lazare… Elle participe à plusieurs chantiers de La Belle Meunière (Le Tas, Les Egarés, Du fond des gorges, La Bobine de Ruhmkorff) et devient peu à peu un membre important de la compagnie qu’elle codirige depuis 2025 avec Pierre Meunier.