conception et interprétation Christodoulos Panayiotou avec la participation de Jean Capeille (Chapitre 1)

Production déléguée centre chorégraphique national de Caen en Normandie

Le centre chorégraphique national de Caen en Normandie est subventionné par le Ministère de la Culture – DRAC Normandie, la Région Normandie, la Ville de Caen, le Départements du Calvados, le Département de la Manche et le Département de l’Orne. Il reçoit le soutien de l’Institut français, l’Onda et l’Odia Normandie pour ses projets internationaux.

« Une forme hybride, une lecture-performance illustrée d’une navigation en direct parmi les méandres de YouTube, afin d’embrasser toutes les occurrences de ce paradoxe suprême qu’est la mort sur scène. » Les Inrockuptibles, Supplément du Festival

« Inclassable, la performance Dying on Stage (Mourir sur scène) que Christodoulos Panayiotou réalise à trois reprises dans l’auditorium du musée d’Orsay, dans le cadre du Festival d’Automne, est aussi inattendue que sensible, éclairante et parfois hilarante. » Art Press

« On en sort ému, traversé sourdement par un sentiment de gravité, compensé aussitôt par la consolante force de sublimation de l’art qui, en mettant en scène la mort, l’installe au centre de notre attention tout en la mettant à distance. » AOC

Christodoulos Panayiotou est un artiste chypriote né en 1978 qui vit et travaille entre Limassol et Paris. Sa recherche se concentre sur l’identification et la découverte de récits cachés dans les enregistrements visuels de l’Histoire et du temps. Il a récemment exposé au Pavillon chypriote de la 56e Biennale de Venise (Italie) ; Casa Luis Barragán, Mexico (Mexique) ; Moderna Museet, Stockholm (Suède) ; Kunsthalle Zürich (Suisse). Ses oeuvres ont été présentées dans de nombreuses expositions collectives, parmi lesquelles : 13e Biennale de Sharjah (Émirats arabes unis) ; 13e Documenta de Kassel (Allemagne) ; 8e Biennale de Berlin (Allemagne) ; 7e Biennale de Liverpool (Angleterre) ; Centre Pompidou, Paris. Il est représenté en France par la galerie Kamel Mennour.

Jean Capeille est né à Paris où il a étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse dans la section Contemporaine. Depuis, il a travaillé en tant que pigiste et collabore avec différents artistes et institutions comme le CAC Brétigny avec Jesse Ash, la Kadist Art Foundation avec Arseniy Zhilyaev et plus récemment avec Christodoulos Panayiotou pour le Pavillon chypriote à la 56e Biennale de Venise. Parallèlement à ses activités de danse, il étudie l’Histoire de l’art à la Sorbonne.

Dying on Stage était au départ une performance dont vous présentiez un nouveau chapitre à chacun de vos anniversaires. Était-ce un moyen pour vous de conjurer votre propre angoisse face au temps qui passe ? 
Je ne pense pas, du moins pas de manière consciente. À dire vrai, je n’ai pas pris tout de suite la mesure de ces deux sous-textes majeurs de l’exercice – « la mort » et « la scène » – lorsque l’idée a germé et que j’ai commencé à amasser des éléments. Au début de cette recherche, je ne cherchais d’ailleurs pas de manière délibérée des vidéos qui illustreraient cette thématique précisément. Ils ne me sont apparus qu’à un stade ultérieur, après avoir organisé le matériel de ce qui est finalement devenue une « performance ». Dans mes précédents classements, j’utilisais d’autres titres tels que « Le drag queen comme biographe » et « Le paradoxe sur le Comédien », des formules que je convoque encore parfois pour des arrangements
spécifiques.

Êtes-vous vous–même séduit par le spectacle de la mort ? Faut-il y voir un certain voyeurisme ?
Il serait difficile de le nier mais, en réalité, documenter la mort en soi ne m’intéresse pas particulièrement. Je veux dire que je ne tire aucun plaisir à voir des artistes souffrir d’une crise cardiaque et mourir sur scène. Il existe pourtant de nombreux cas que je mentionne – de Molière à Carmen Miranda, de Harry Parke à Tiny Tim –, dont j’ai déjà dressé une longue liste, mais j’évite néanmoins de les regarder moi-même, dans les cas où ils sont documentés, et je ne les montre d’ailleurs pas tels quels durant la représentation. Ce qui m’intéresse principalement, c’est de déconstruire une série de systèmes qui concernent la représentation et la narration de la mort sur scène. Je travaille à l’endroit où la triangulation entre le personnage, le spectateur et l’acteur est radicalement perturbée par la question de la mort, là où les biographies infiltrent les fictions, et vice versa.

La question de la mort et de la scène est aussi ancienne que le théâtre lui-même. En quoi, selon vous, l’illusion théâtrale permet-elle au public de mieux regarder la mort en face ? 
Traditionnellement, dans la logique de la définition aristotélicienne du théâtre, les passions des héros, et, dans l’absolu, leur mort seraient des moyens pour le spectateur de purger ses émotions, particulièrement la pitié et la peur. Ces notions n’étant jamais réellement définies et expliquées par Aristote, elles ont été à l’origine d’une longue tradition d’interprétation et de spéculation. Dans ce système de transferts, la purification de la mort, soit la peur absolue en quelque sorte, devient centrale. Néanmoins, j’ai opté pour une façon d’apprivoiser la théorie du drame grec ancien quelque peu différente, plutôt personnelle et anecdotique, en partant du concept de « l’ironie tragique ». Ce concept décrit une charge émotionnelle qui relève d’une forme de sentiment moral très fort qui se produit chez le public lorsqu’il sait ce que vont devenir les personnages, lorsqu’il les voit s’acheminer vers leur fin fatale, alors qu’eux l’ignorent. Ce terme a été inventé en 1833 par un évêque anglican nommé Connop Thirlwall. Il est le pur produit de la rencontre entre la morale chrétienne et le romantisme. C’est en quelque sorte par l’intermédiaire de ce malentendu que je retourne au drame grec ancien. Dying on Stage apparaît en ce sens comme un moyen de méditer sur le cercle vicieux entourant le spectateur, l’acteur et les personnages pris au piège dans l’action face à ce paradigme radical qu’est la mort.

Des chefs-d’oeuvre d’opéra aux shows TV de variété, vous mélangez culture savante et culture populaire, est-ce un moyen pour vous de montrer que nous sommes tous égaux devant la mort ? 
Je pense surtout que cela reflète mon propre chaos et celui de mon champ de références ! [rires] En tout cas, cela correspond certainement au seul cadre de recherche systématique que je me sois donné pour Dying on Stage, c’est-à-dire YouTube. En opposition aux archives traditionnelles, la plateforme vidéo est une somme active de nos fascinations, de nos obsessions et de nos désirs, ouverte et collaborative. La façon dont toutes ces informations arrivent à la surface est elle-même dictée par un algorithme de projections, qui permet de façon spectaculaire le passage que vous pointez entre la « haute » et la « basse » culture. Maintenant, en ce qui concerne l’égalité que nous partageons dans la mort, je n’en suis plus tellement sûr. Dying on Stage examine surtout la symptomatologie de la mort sur scène spécifiquement, et non dans la vie.

Vous avez vous-même été danseur avant de vous engager dans l’art contemporain, de quelle façon les arts vivants influencent-ils votre travail plastique ? 
Même si j’ai très peu dansé après mes études, je ne dirais pas qu’il y a eu un moment de transition décisif, comme vous semblez le suggérer. C’est une série de conséquences plutôt harmonieuses qui m’ont permis de pratiquer l’art. Et de manière assez étrange, si l’on considère que cela dure depuis assez longtemps, j’ai toujours l’impression que ce processus de transition est en cours. C’est même, je crois, un luxe de l’avoir conservé au coeur de ma démarche, agissant dans la production d’oeuvres de toutes sortes. Ce que je peux dire avec certitude en revanche, c’est que l’héritage auquel je me réfère le plus souvent est l’histoire de la danse et du théâtre. Ce n’est peut-être pas formellement évident dans la plupart de mes travaux, mais l’histoire des arts vivants en est très souvent le sous-texte et même un moteur.

Vous présentez également une exposition au Musée d’Orsay, que va-t-on y trouver ? Quel est votre, rapport à l’art moderne (plutôt que contemporain) ? 
Je travaille sur la patine du temps, sur ce qui n’est pas désiré et nos efforts pour l’apprivoiser. Cela peut paraître plus abstrait que ça ne l’est, mais je n’ai pas encore les mots pour en parler. J’éprouve aussi une difficulté à traduire mon rapport à l’art moderne en termes d’opposition. Ce partage chronologique, qui induit des régimes esthétiques radicalement distincts, ne trouve pas écho dans mes expériences perceptives. Celles-ci se déploient dans une pluralité de formes, chronologies et lieux. Je suis un spectateur curieux et ouvert, parfois peut-être confus, ce qui est un bon « rapport » à l’art, non ?

Propos recueillis par Florian Gaité, avril 2019, pour le Festival d’Automne à Paris